Une démarche inédite pour repenser la réforme contestée
Une nouvelle page s’ouvre dans le dossier sensible des retraites en France. Dès ce jeudi démarrent les réunions de la « délégation paritaire permanente » (DPP), un dispositif voulu par le Premier ministre François Bayrou pour tenter d’améliorer la réforme de 2023 qui avait suscité une vive opposition sociale et politique. Cette initiative, qui mobilise l’ensemble des partenaires sociaux, se distingue par son format novateur et ambitionne de revisiter les points les plus controversés du système actuel, à commencer par le recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans. Pour piloter ces échanges qui s’annoncent délicats, le gouvernement a fait appel à Jean-Jacques Marette, ancien directeur général de l’Agirc-Arrco, qui précise d’emblée sa posture : « Je récuse le nom de président, je suis animateur », soulignant ainsi sa volonté de faciliter le dialogue sans imposer de direction préétablie. Cette mission d’équilibriste se déroulera jusqu’en juin 2025, avec l’objectif d’aboutir à des propositions concrètes.
Cinq grands thèmes au cœur des débats
Le programme des discussions s’articule autour de cinq axes majeurs, chacun faisant l’objet de deux séances de travail. Sans détour, la DPP entame ses travaux par le sujet le plus épineux : « On n’a pas écarté la difficulté, car on commence demain par l’âge. Ce n’est pas le sujet le moins polémique », reconnaît avec ironie Jean-Jacques Marette. Ces premières réunions aborderont non seulement la question controversée des 64 ans, mais exploreront également les différentes notions temporelles du système : « l’âge d’ouverture des droits, l’âge d’annulation de la décote », ainsi que les problématiques connexes comme « l’emploi des seniors et les carrières longues ».
Le deuxième thème concernera « l’usure professionnelle », en articulation avec la question des carrières longues. Viendront ensuite « les mécanismes de solidarité », incluant l’égalité femmes-hommes et les dispositifs familiaux. Le quatrième axe sera consacré au financement, explorant les différentes sources possibles et abordant avec prudence la question de la capitalisation. Enfin, le cinquième thème portera sur le pilotage du système, une dimension que l’ancien directeur de l’Agirc-Arrco considère comme fondamentale.
Un pilotage régulier plutôt que des réformes sporadiques
Jean-Jacques Marette défend une vision pragmatique du système de retraite, basée sur son expérience à la tête du régime complémentaire. « Une réforme définitive des retraites, ça n’a pas de sens, en tant que telle, c’est un oxymore. Fondamentalement, ça se pilote dans le temps, régulièrement, un régime de retraite, ça ne se reforme pas », affirme-t-il avec conviction. Cette approche s’inspire directement du fonctionnement de l’Agirc-Arrco, où « tous les 4 ans, on regarde si on a toujours 6 mois de réserves ».
L’animateur se montre « pas pessimiste » quant à la possibilité d’un accord sur ce point précis : « les partenaires sociaux peuvent se mettre d’accord » sur un mécanisme d’ajustement périodique. Il suggère notamment un horizon de pilotage à moyen terme : « Est-ce qu’il faut tous les 5 ans, regarder à 15 ans glissant ? » Cette méthode permettrait d’éviter les réformes brutales et contestées, en faveur d’ajustements progressifs et anticipés.
Un exercice d’équilibriste entre positions antagonistes
La mission confiée à Jean-Jacques Marette s’annonce particulièrement délicate dans un contexte de positions fortement polarisées. D’un côté, le Premier ministre François Bayrou a clairement affiché, dans sa lettre de mission adressée aux partenaires sociaux, l’objectif de rétablir l’équilibre financier du régime d’ici 2030. Cette contrainte, perçue comme un cadrage trop restrictif par certains syndicats, a déjà provoqué la défection de Force Ouvrière (FO), qui a claqué la porte des discussions avant même leur commencement.
De l’autre côté, l’ancien directeur de l’Agirc-Arrco affiche lui-même une conviction forte : « La répartition est au cœur du pacte qui unit les générations. Mais la répartition suppose l’équilibre. C’est une prise de position que j’affirme clairement. On ne peut pas gérer un régime par répartition sans perspective d’équilibre. » Au-delà de ce principe, il assure cependant rester neutre : « Moi, je n’ai pas de position sur le sujet. »
Une méthodologie au service des partenaires sociaux
L’ancien directeur général de l’Agirc-Arrco conçoit son rôle comme celui d’un facilitateur au service des organisations syndicales et patronales. « Je suis au service des partenaires sociaux pour les aider », insiste-t-il, décrivant sa mission comme « une mission d’animation et d’assistance » visant à « construire la boîte à outils dont les partenaires sociaux ont besoin ». Dans cette optique, Jean-Jacques Marette sera chargé d’animer les débats et de rédiger les éventuelles conclusions, mais il précise que sa plume sera celle « des partenaires sociaux ».
Le format final ne sera pas un accord interprofessionnel classique, mais plutôt « un relevé d’échanges actant les accords généraux ou partiels ». L’objectif est d’identifier, d’ici « fin mai, début juin », les points de convergence entre « tous les partenaires sociaux ou certains partenaires sociaux », afin de « remettre au gouvernement et au Parlement les conséquences à en tirer, dans le domaine réglementaire ou législatif ».
Conclusion
Le lancement de cette délégation paritaire permanente marque une nouvelle approche dans le traitement du dossier sensible des retraites en France. En choisissant de confier aux partenaires sociaux la mission de repenser certains aspects de la réforme de 2023, François Bayrou tente une méthode plus consensuelle que celle adoptée par le précédent gouvernement. L’équation reste néanmoins complexe : concilier l’impératif d’équilibre financier avec les attentes sociales en matière d’âge de départ, de prise en compte de la pénibilité et d’équité du système.
La méthode choisie, privilégiant le dialogue et l’expertise des acteurs sociaux sous l’animation d’une personnalité reconnue du secteur, pourrait permettre d’avancer vers des solutions plus partagées. Toutefois, l’absence de FO dès le départ et les positions traditionnellement antagonistes entre syndicats et patronat sur ces questions laissent planer un doute sur la capacité de cette instance à produire un consensus large avant l’échéance de juin 2025.
Articles similaires
- Réforme des retraites : âge, pénibilité, femmes… la CFDT pose ses exigences avant l’ouverture des discussions
- Le système des retraites au bord du gouffre : les solutions radicales envisagées par le gouvernement
- Conclave des retraites sur le déficit et les négociations pour les retraites : ce qu’il faut attendre des discussions qui ont démarré ce jeudi
- Retraites : trois jours fériés supprimés par an ? En quoi consiste la proposition de la CPME ?
- Le prétendu « trou caché » de 55 milliards dans les retraites : décryptage d’une manipulation politique qui sème la confusion

Laurent Jonas est un consultant chevronné en fiscalité, spécialisé dans l’optimisation des impôts et la gestion des finances des entreprises. Avec une solide expérience auprès des TPE et PME, il offre sur FAIRE des articles riches en conseils pour naviguer dans le monde complexe des crédits d’impôts et des aides publiques.